Le bleuet, ce fruit polyvalent cultivé depuis toujours pour ses propriétés nutritives et médicinales, continue de gagner en popularité grâce à ses antioxydants qui en font désormais un superaliment. N’allez pas croire que toutes les activités du secteur des bleuets sont interrompues par l’arrivée des températures plus fraîches. Permettez nous plutôt de vous présenter un agriculteur qui sait quoi faire à l’automne et en hiver pour assurer une récolte satisfaisante à la saison suivante.
Charles Stevens a fondé Wilmot Orchards en 1976; il a donc un peu d’expérience en matière de culture de petits fruits. En 1979, il plantait ses premiers bleuets en corymbe et, aujourd’hui, sa pittoresque culture de petits fruits s’étend sur 25 acres aux abords de Newcastle, en Ontario, à côté de sa pommeraie de 120 acres. Les bleuets ont la réputation d’être capricieux en ce qui concerne la qualité du sol. En effet, seule une fraction des terres de l’Ontario sont propices à leur croissance, ce qui rend leur entretien et les soins à leur fournir d’autant plus importants, même horssaison, si on veut en optimiser la productivité.
« Les bleuets apprécient deux choses plus que tout : une sol acide et la matière organique », explique M. Stevens, dont la culture produit dorénavant neuf variétés de ce petit fruit qui en fait, exige peu d’entretien. « Faire pousser une récolte dépend surtout de notre capacité à minimiser les humeurs de Mère Nature, que celles-ci se traduisent par une température trop sèche, trop froide ou trop chaude. »
Pour y parvenir, M. Stevens emploie quelques techniques, veillant à ce que ses bleuetiers soient prêts à négocier les conditions climatiques canadiennes souvent difficiles. Et, demanderez-vous, qu’utilise-t-il pour cette préparation? De la sciure de bois, vous répondra-t-il, qu’il ajoute aux plantes établies en automne.
« Lorsque la sciure se décompose dans le sol, elle acidifie ce dernier, y ajoute de la matière organique et protège les racines du bleuetier pendant l’hiver, particulièrement si, cet hiver-là, on reçoit moins de neige », explique M. Stevens, qui dirige Wilmot Orchards avec l’aide de son épouse, Judi, et de sa fille, Courtney.
L’utilisation de sciure et la nature des bleuetiers font que ces derniers ont besoin de peu d’engrais. « La matière organique fournit, en fait, beaucoup de nutriments », ajoute-t-il. « La culture de bleuets est très avantageuse pour le sol, puisque les résidus de taille, les émondés et les fruits retournent dans le sol pour l’engraisser sans qu’il soit nécessaire de le travailler. Les fruits se nourrissent pratiquement eux-mêmes. »
À Wilmot Orchards, on utilise la sciure de bois pour préparer les bleuetiers en vue des grands froids de l’hiver canadien. La sciure, ajoutée aux plantes à l’automne, se décompose et acidifie la terre, y ajoute de la matière organique et protège les racines pendant l’hiver.Le cycle de croissance du bleuetier fait en sorte que les bourgeons de la saison suivante sont sortis à l’automne. Il importe donc que le taux d’humidité soit optimal à cette période pour assurer une croissance suffisante au printemps suivant. On utilise des techniques d’irrigation goutte à goutte pendant toute la saison de croissance, et on souffle l’eau d’irrigation souterraine hors de la terre en automne pour éviter que celle-ci gèle et fasse éclater les tuyaux. L’ajout de la sciure permet également de mieux retenir l’humidité dans le sol.
« Pour chaque tranche de un pour cent de matière organique, le sol retient un pouce de pluie; donc, si votre sol contient trois pour cent de matière organique et qu’il ne pleut pas pendant plusieurs semaines, il conservera tout de même suffisamment d’humidité pour quelque temps », explique M. Stevens, également membre du conseil d’administration de l’Ontario Fruit and Vegetable Growers’ Association, et président du Comité de protection des cultures et de l’environnement du Conseil canadien de l’horticulture.
À l’automne, après chaque récolte, M. Stevens épand également de la chaux agricole naturelle à diffusion lente pour permettre au pH du sol de se maintenir à un indice idéal de 4,5 à 5,5.
« Il n’est pas possible de cultiver des bleuets si le pH est plus élevé que 6,5 », insiste-t-il. « Lorsque l’on ajoute de la chaux, on réduit le pH et cela permet de libérer des micronutriments que les plantes pourront ensuite absorber. »
Des micronutriments vaporisés sur les feuilles préviennent également le gel des bleuetiers en agissant, en quelque sorte, comme un « antigel » qui peut être absorbé par les feuilles et l’écorce.
« En l’absence d’une quantité suffisante de ces nutriments, les bleuetiers sèchent et meurent », ajoute M. Stevens. « C’est une pratique très avantageuse pour notre exploitation qui a permis d’augmenter le rendement de nos récoltes de manière significative. »
Pour une protection supplémentaire, M. Stevens utilise aussi des ventilateurs antigel qui protègent les petits fruits contre le froid. Ces ventilateurs sont thermosensibles et s’allument à une température déterminée, puis s’éteignent lorsqu’il fait suffisamment chaud.
« Sans eux, on peut perdre une récolte entière en moins de trois heures », affirme-t-il.
Ces outils et techniques permettent à Wilmot Orchards de tirer le meilleur parti possible de la saison froide pour faire en sorte que les bleuetiers soient prêts pour l’émondage printanier, un procédé exécuté à la main.
Nous ne touchons aux arbustes que lorsque la température se réchauffe », dit M. Stevens. « L’émondage assure jeunesse et vitalité aux plantes; et nous savons tous que, dans la nature, la jeunesse est synonyme d’une meilleure productivité. »
Toute l’année, M. Stevens utilise peu de phytoprotecteurs contre les ravageurs et les mauvaises herbes. La sciure appliquée à l’automne tient lieu d’herbicide, se décomposant lentement pour étouffer les plantes adventices.
« Nous nous en tirons avec une application minimale d’insecticide pour enrayer une espèce nuisible particulière et envahissante (drosophile à ailes tachetées), originaire d’Asie, qui n’a aucun prédateur naturel au Canada », ajoute-t-il. « Elle pond ses larves dans les fruits, ce qui les amollit et les rend impropres à la vente. Ce ne sont pas là les protéines que les gens aiment trouver dans leurs fruits. Cet insecte a causé de grands changements à notre industrie au Canada. »
Wilmot Orchards utilise aussi des ventilateurs antigel qui protègent les petits fruits contre le froid.Wilmot Orchards utilise une seule autre forme de contrôle des espèces nuisibles : le dressage des oiseaux prédateurs, comme le faucon et le faucon pèlerin, qui, chaque été, ont pour tâche d’apeurer les oiseaux plus petits pour les empêcher de manger les fruits.
« C’est la loi de la nature », de dire M. Stevens en riant. « Nous utilisons ces oiseaux depuis plus de 20 ans pour limiter les pertes de fruits. »
Tout comme pour les oiseaux, il semble que l’appétit du public pour les petits fruits ne soit pas sur son déclin. La saison des bleuets commence habituellement à la fin de juillet et atteint son sommet en août, période au cours de laquelle Wilmot Orchards ouvre ses portes à des milliers de visiteurs qui viennent cueillir les petites sucreries à pleins paniers. Grâce au fait que différentes variétés mûrissent tour à tour tout au long de l’été, la saison de cueillette se prolonge de plusieurs semaines.
« Si ce n’était de cette variété, notre saison durerait deux fois moins longtemps qu’à l’heure actuelle », explique M. Stevens.
Les soins minutieux qu’il apporte à ses récoltes tout au long de l’année permettent d’obtenir des plantes vigoureuses qui continueront de porter leurs fruits pour plusieurs décennies encore.
« La production de bleuets est vraiment de longue haleine. Habituellement, en raison du sol et du climat en Ontario, il faut environ de huit à dix ans pour parvenir à une bonne production », dit-il. « Si l’on prend soin des plantes, elles peuvent facilement durer plusieurs décennies. »
Si l’hiver est une saison plus calme pour M. Stevens, il en profite pour s’affairer à la planification de la relève et à la commande de fournitures.
« Lorsqu’il s’agit de commander des fournitures, on considère que l’hiver est le bon moment pour effectuer des changements dans nos stratégies de gestion des nutriments ou de phytoprotection pour la prochaine année. En hiver, on a le temps de s’arrêter pour y penser », explique-t-il.
En ce qui concerne la planification de la relève, je suis à un âge où la plupart des agriculteurs canadiens songent à passer le flambeau à la génération suivante ou à vendre leur propriété », poursuit-il. « Je passe beaucoup de temps à planifier la relève, ce qui en vaut la chandelle lorsqu’on a passé 40 ans de sa vie à construire une entreprise. »
La croissance de récoltes comme celles de ces bleuets en corymbe aux vergers Wilmot, près de Newcastle, en Ontario, dépend de leur protection contre les caprices de Mère Nature.Pour ce qui est de tirer parti de la saison morte, M. Stevens encourage ses collègues producteurs à s’impliquer au sein de leurs associations locales, peu importe le type de culture qu’ils produisent.
« Lorsqu’on est producteur, on dispose de tant de ressources qui permettent de s’engager et de participer à des rencontres; il est toujours possible de trouver quelqu’un qui pourrait avoir une bonne idée pour mettre en valeur votre entreprise », dit-il. « Il suffit d’une seule piste— qu’il s’agisse d’irrigation ou de gestion de la main-d’oeuvre, ou encore de phytoprotection ou de position sur le marché—pour peut-être améliorer vos affaires. Discuter avec quelqu’un qui a réussi a beaucoup plus de valeur que simplement chercher dans internet. »