par Rosalie Tennison

Tous les Canadiens aiment discuter à table, mais combien de ces discussions concernent réellement ce qui se trouve dessus : la nourriture? Comme de moins en moins de gens travaillent dans l’industrie de l’agriculture ou vivent dans une communauté agricole ou ses environs, beaucoup de consommateurs ne savent pas d’où leurs aliments proviennent. En raison de ce changement démographique, les gens connaissent moins les méthodes utilisées pour améliorer la production des animaux et des cultures agricoles.

Le sigle OGM (organismes génétiquement modifiés) est une désignation adéquate des moyens qu’emploient les scientifiques depuis des centaines d’années pour créer de meilleures sources de nourriture, entre autres par la phytogénétique. L’exemple classique d’une modification génétique est la transformation du colza en canola. Malheureusement, le sigle OGM s’est vu attribuer au cours des dernières décennies une connotation négative, particulièrement en ce qui a trait aux plantes résistantes aux maladies et aux insectes ou à celles qui tolèrent les produits de phytoprotection offrant aux agriculteurs de meilleures solutions de contrôle des insectes et mauvaises herbes.

« Selon moi, l’histoire des OGM nous a été volée, à nous qui travaillons dans le domaine de l’agriculture, note Nadine Sisk, vice-présidente des communications chez CropLife Canada. Nos aliments au Canada sont sains et nous devons partager notre histoire. Nous pouvons aider les consommateurs à comprendre l’agriculture moderne et comment elle s’est améliorée au fil du temps. »

La firme de sondage nationale Ipsos est périodiquement sollicitée pour mener des sondages auprès des consommateurs en vue de connaître leur perception des aliments. Dans le dernier sondage d’août 2015, payé par le Réseau canadien d’action sur les biotechnologies, six Canadiens sur dix s’opposaient à la modification génétique pour améliorer les aliments. Parmi les 1 000 répondants canadiens, 57 pour cent faisaient peu confiance aux systèmes de réglementation et de salubrité des aliments mis en place par le gouvernement et 88 pour cent estimaient que l’étiquetage des aliments génétiquement modifiés devrait être obligatoire.

« Notre sondage n’indiquait pas si les répondants possédaient suffisamment d’information pour prendre des décisions éclairées, indique Sean Simpson, vice-président des affaires publiques chez Ipsos. Les résultats reflétaient plus les attitudes que les comportements et le plus fort sentiment qui est ressorti était lié à la connaissance des OGM. »

Parallèlement, le sondage mené par CropLife Canada indique qu’au moins un tiers des Canadiens sont à l’aise avec les OGM. Mme Sisk note que CropLife Canada a sondé les répondants en 2010 et en 2013 quant à leur attitude à l’égard des OGM, et qu’elle a remarqué un tournant positif dans le dernier sondage.

« Nous faisons pousser de bons aliments, précise Mme Sisk. Au sein de notre industrie, nous n’avons pas réussi à bien expliquer les OGM aux consommateurs dès le départ. Quelqu’un d’autre s’en est chargé à notre place, et a raconté une fausse histoire. »

Mme Sisk suggère que tous les secteurs de l’agriculture collaborent pour raconter leurs histoires et multiplier ainsi les « voix » de l’industrie. Puisque seulement deux pour cent des Canadiens travaillent en milieu agricole et seulement un emploi sur huit concerne l’agriculture, il est facile de comprendre pourquoi une vaste majorité discute d’un enjeu qui n’est pourtant bien connu que d’une minorité.

Shawn Troyer s’engage à alimenter sainement sa famille. Vivant dans une région urbaine en Ontario entourée des meilleures terres agricoles de la province, elle soupçonne les OGM de provenir de multinationales qui ne pensent qu’à faire des profits. Elle croit que beaucoup de gens ne savent pas ce que sont les OGM et elle s’en inquiète. Pour s’informer, Mme Troyer consulte Internet.

« Je comprends que la population mondiale augmente et qu’il faut plus de nourriture, mais faisons-nous de meilleurs aliments ou en faisons-nous seulement plus? », commente-t-elle.

Elle estime qu’il y a trop peu de recherches menées par des firmes indépendantes et que ce sont les grandes entreprises qui financent les recherches pour préserver leurs propres intérêts. Elle aimerait qu’une étude indépendante compare toutes les formes d’un produit agricole modifié à la fois par des méthodes traditionnelles et biotechniques pour savoir si le produit demeure le même. Elle aurait tendance à faire confiance aux résultats d’une telle étude.

« L’industrie agricole doit fournir plus d’information, car la transparence est essentielle », convient M. Simpson.

Mme Sisk admet que les efforts de sensibilisation ont été défaillants dès le départ et que l’industrie doit maintenant miser sur les avantages de la biotechnologie pour l’agriculture moderne.

Internet regorge d’information sur les OGM, mais il est impossible de contrôler le message qui y est véhiculé. Les consommateurs curieux doivent pouvoir trouver des sites légitimes présentant des données fiables, comme l’article « GM food myths » sur le site AgBioWorld.org ou les réponses appuyées d’arguments sur le site GMOanswers.com. Ces deux sites présentent aux consommateurs des réponses scientifiques à leurs questions.

En somme, Mme Sisk estime qu’il y a trois groupes distincts de consommateurs : ceux qui acceptent les OGM, ceux qui s’y opposent fermement et ceux, plus nombreux, qui ne croient pas que les OGM soient forcément mauvais, mais qui veulent en savoir plus. « Il y a une différence entre “je suis pour” ou “je suis contre” et “j’ai des doutes”, ajoute-t-elle. C’est là que nous devons entrer en jeu et discuter avec les gens qui n’ont pas un point de vue arrêté ».

La population humaine dépend de sa capacité d’améliorer les aliments, car celle-ci contribuera non seulement à l’amélioration de sa santé, mais également à l’abondance des aliments. Par exemple, le mouvement d’aliments locaux vise la variété, la nutrition et la disponibilité, ce qui s’avère difficile au Canada, où les saisons de croissance sont courtes et l’entreposage est complexe.

Même si l’amélioration de la production de cultures et d’animaux repose depuis toujours sur la modification génétique, les consommateurs ont redoublé de méfiance avec l’avènement des biotechnologies. La nourriture est un besoin primaire de l’humain et l’amélioration scientifique des aliments peut teinter les conversations à table de soupçons ou de fébrilité. C’est pourquoi ceux qui travaillent dans le domaine de l’agriculture doivent s’asseoir à la même table que les consommateurs.